Mot de la commissaire

Letitia Fraser : Ce tissu m’appartient

Letitia Fraser est une artiste afro-néo-écossaise émergente qui se sert du collage, de la courtepointe et de la peinture figurative pour réaliser des portraits de membres de sa famille et de sa communauté. Son travail examine le croisement des notions de l’archive, de la biographie et de la mémoire ainsi que les questions de la représentation et de l’appartenance. Fraser se penche sur le fait de venir d’un endroit précis qui a une histoire unique et les conséquences de ce patrimoine, tout en cherchant à consigner, préserver et faire connaître ce passé collectif à partir d’un point de vue singulier. 

Diplômée du Nova Scotia College of Art and Design, Fraser nomme les artistes Nijdeka Akunyili Crosby, Kadir Nelson et Barkley Hendrix, entre autres, comme autant d’influences ayant inspiré son approche du portrait ainsi que l’utilisation du tissu sur ses toiles. Son travail est non seulement un clin d’œil à ces influences, mais s’inspire aussi explicitement de sa propre lignée, surtout de sa grand-mère maternelle, Rosella Fraser (1932-2010). Plusieurs traditions et valeurs générationnelles ont été transmises de Mommay, comme l’appelaient les gens qui la connaissaient, à Rosella fille, la mère de l’artiste ainsi que la fille et l’homonyme de Mommay. Ces traditions et valeurs ont été étroitement tissées en une vision du monde commune où la famille, les coutumes, l’histoire, la célébration et l’appartenance sont de prime importance. 

La grand-mère de Fraser était une courtepointière et faisait partie d’une communauté d’artisanes. La fabrication de courtepointes allie l’utile à l’art, au travail manuel et à l’habileté ; elle reflète le lieu domestique de sa fabrication, mais aussi le temps et le travail qui sont intrinsèques à sa création. Cette confection demande beaucoup de temps ; il s’agit d’une activité qui, par nature, progresse par à-coups. Les courtepointes sont assemblées en marge d’autres activités quotidiennes plus pressantes, sont travaillées pendant les temps morts et sont souvent confectionnées dans les espaces partagés des conversations privées et des activités ménagères en cours. L’on raconte des histoires pendant leur réalisation ; elles contiennent les traces de ces histoires, ainsi que de nouvelles histoires liées au travail, à l’habileté et à l’ingéniosité nécessaires pour fabriquer quelque chose à partir de morceaux de tissu récupérés. Les segments de la courtepointe sont des vestiges de la vie et des souvenirs familiaux, des restes imprégnés d’une nouvelle intention grâce à la valeur cumulative de toutes ces couches. La fonction d’une courtepointe — vous tenir au chaud — est associée à un lien lorsqu’elle est réalisée pour vous, par des mains que vous connaissez, que vous aimez, et qui vous aiment en retour.

Le portrait relève, au sens propre, de la représentation ; les notions de la race, du genre et de la classe en sont donc inextricables. Les questions qu’il faut se poser lorsque l’on rencontre ces œuvres : qui est représenté, par qui, et à quelles fins. Fraser est tout à fait consciente de l’importance de ces questions et du rôle de son projet, qui consiste à saisir, à célébrer et à inscrire dans une histoire collective les personnes qui comptent pour elle, dans le cadre d’un récit plus complexe et plus riche sur North Preston, sur la Nouvelle-Écosse et sur le Canada en général. Le soin qu’elle prend pour créer ses images, pour offrir un aperçu du visage de ses sujets, est un engagement qui ne peut être pris à la légère ; le public se doit donc de porter attention, de respecter et d’apprécier ce lien partagé. 

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